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Le 3 octobre devait se tenir un Comité Technique de Réseau Conditions de travail. Au vu des événements tragiques survenus ces dernières semaines, l'intersyndicale a décidé d'alerter de façon solennelle la Direction générale et plus particulièrement le DG sur la situation préoccupante de l'état de santé des agentes et des agents. Il a été donné lecture de la déclaration ci-dessous.

 


Monsieur le Directeur général,

L’intersyndicale vous alerte solennellement quant à la dangerosité de poursuivre la mise en place du Nouveau Réseau de Proximité dans le contexte particulièrement sensible que connaît la DGFiP.
L’administration a une obligation de sécurité de résultat (art. L4121-1du Code du travail). L’article L4121-2 précise les grands principes de prévention dont le premier auquel est tenu l’employeur est d’éviter d’exposer ses agents à des risques.

Les environnements actuels des agents sont particulièrement dégradés.

Depuis 2009, 631 trésoreries ont fermé. Leur nombre est passé de 4200 en 1998 à 2354 en 2017. L’ensemble des missions de la DGFiP est mis à mal par la démarche stratégique, le plan d’adaptation des structures du réseau (ASR) et plus globalement la déclinaison de CAP22. La numérisation, à marche forcée de l’ensemble des procédures de l’administration, qui a souvent été le prétexte de suppressions anticipées, la concentration des missions à un niveau régional voire interrégional ont participé activement à la destructuration des missions, des métiers des agents de la DGFiP.

Les résultats de l’observatoire interne sont catastrophiques, d’autant plus qu’ils montrent année après année une tendance nette à la dégradation. Ils sont le reflet des réformes successives imposées par la direction générale pour adapter les services locaux aux suppressions de postes, les regroupements et les fermetures de services qui sont très mal vécus par les personnels. Les agents et agentes de la DGFiP sont 69 % à trouver que la DGFiP évolue trop rapidement et ils sont 76 % à trouver que ces évolutions sont négatives. D’ailleurs 76 % des agents n’ont pas confiance quant à leur avenir au sein de la DGFiP. 61 % des agents trouvent que leur motivation au travail diminue. Les fusions de services, les restructurations perpétuelles, la perte des 40 000 postes de notre administration sont autant d’éléments qui jouent nécessairement sur la santé des personnels. Les fonctionnaires n’échappent pas à l’insécurité du travail qui englobe aussi la crainte d’une dégradation des conditions de travail. De même que le chômage est connu comme facteur de risque de l’atteinte de l’intégrité psychique, le premier facteur de risque de stress au travail en Europe est « la réorganisation du travail » devant « la charge de travail », le « harcèlement » ou le « manque de soutien des collègues et des supérieurs ». Et on peut dire qu’avec les restructurations permanentes, les agents de la DGFIP sont une population à risque.

La charge de travail est jugée trop importante par les médecins de prévention, eux-mêmes, dans leur rapport annuel de 2018 (p91). Ils notent la réduction des effectifs, les départs en retraite, le manque de « sachants » dans les services et les trésoreries, le manque de « tuilage » comme autant de facteurs aggravants. Pour le management, ils notent les injonctions paradoxales, la pression pour les résultats, le manque de soutien technique, le manque de reconnaissance et de priorisation des tâches. Concernant les réorganisations des services, ils soulignent les transformations des métiers, les orientations mal accompagnées et peu anticipées comme autant de risques psychosociaux qui peuvent porter atteinte à la santé des agents.

La hausse de la charge de travail est une réalité. Ainsi, entre 2008 et 2017 :

  • le nombre d’avis d’impôt sur le revenu et de taxe d’habitation a progressé de plus de 5 %,
  • le nombre d’avis de taxe foncière a progressé de plus de 11 %,
  • le nombre d’entreprises soumises à TVA a progressé de plus de 42 %,
  • le nombre d’entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés a progressé de plus de 46 %,
  • le volume des sollicitations dans les accueils des services a progressé de plus de 39 %,
  • le nombre de comptes de dépôts de fonds a progressé de plus de 47 %,
  • le nombre de locaux gérés par les services du cadastre a progressé de plus de 11 % et le nombre de comptes de plus de 5 %,
  • le nombre d’opérations en matière de publicité foncière a progressé de plus de 12 %,
  • le nombre d’actions de recouvrement a progressé de plus de 64 % pour les particuliers et de 15 % pour les entreprises, etc.

Les ISST (Inspecteur Santé et Sécurité au travail), dans leur rapport (p11), observent des conditions de travail dégradées, qui, malgré les signalements faits à la direction depuis des années par la hiérarchie et confirmés par les observations des ISST, ne s’améliorent pas. Ils observent également un manque de considération et de reconnaissance pour les efforts accomplis par les agents qui maintiennent leur service à flot malgré les difficultés. La pression et la charge de travail sont pointées comme croissantes en raison des absences et des baisses d’effectifs. Les agents, de leur côté, se résignent au travail en mode dégradé. Peu à peu la démotivation s’installe et des conflits de valeur se développent autour de la qualité du travail. Les ISST relèvent, comme facteurs de contraintes identifiées et sources de RPS (Risques Psycho-sociaux), l’enchaînement des réformes.

Ce constat, fait par des spécialistes des conditions de travail, était avant le nouveau projet de réorganisation du Ministre Darmanin incluant la géographie revisitée et la démétropolisation.

Cette réforme qui, selon vous, est entrée dans une période de concertation, est rejetée par une large partie des personnels de la DGFiP qui voit, une nouvelle fois, son devenir professionnel et personnel se désagréger. Au-delà, au travers de cette déconstruction massive, l'administration donne l’impression d’une véritable défiance envers ses agents et le travail accompli.

Dans un contexte particulièrement sensible, la mise en place d’une telle réforme est irresponsable. L’administration va exposer les agents à des risques psychosociaux tels qu’ils mettent la vie des agents en péril. Depuis le lancement de la géographie revisitée en juin dernier, nous avons eu connaissance de 5 événements dramatiques. Nous sommes particulièrement inquiets de l’évolution de la situation et nous tenons aujourd’hui à tirer la sonnette d’alarme.

Aussi, nous exigeons une prise de conscience effective de votre part et des moyens conséquents pour mettre un terme sans attendre aux risques majeurs encourus par les agents.

Le 20 septembre dernier, à l'ouverture du CTR, les organisations syndicales ont fait une déclaration commune pour exiger l'abandon des réformes en cours, le retrait du projet du ministre Darmanin et l'ouverture, enfin, de vraies négociations sur les conditions d’exercice des missions de la DGFiP. Cette réponse de votre main ou de celle du Ministre reste toujours en attente, alors qu’il y a urgence.
De plus, le 30 septembre, votre refus de recevoir les SG des organisations syndicales, composant l’intersyndicale DGFiP, crée un précédent lourd de signification quant à votre conception du dialogue social au niveau national.

Dans ces conditions, nous réitérons notre exigence d’avoir au plus vite une réponse écrite à notre déclaration du 20 septembre et à notre demande de report de tous les GT prévus dans les jours à venir dans l’attente de votre réponse, ou de celle du Ministre.

Sans une réelle prise de conscience de votre part, quant à l’urgence de la situation, votre responsabilité serait pleinement engagée.

Aussi l'intersyndicale, présente devant vous, exerce donc solennellement ce matin, au nom de l'ensemble des personnels de la DGFiP, un droit d'alerte conformément à l'article 5-6 du décret 82-453 du 28 mai 1982 : « l'agent alerte immédiatement l'autorité administrative compétente de toute situation dont il a un motif raisonnable de penser qu'elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que toute défectuosité qu'il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d'une telle situation …».

Nous quitterons, donc, cette salle. Mais, avant, nous ferons une minute de silence en hommage aux fonctionnaires qui ont mis fin à leur jour sur leur lieu de travail.

Pour l'intersyndicale de la DGFiP

François-Xavier Ferrucci