Dans le cadre du « parlementarisme rationalisé » qui organise la toute puissance de l'exécutif sous la Vème République, le premier ministre peut engager, en vertu de l'article 49-3 de la Constitution, la responsabilité du Gouvernement devant l'Assemblée nationale sur le vote d'un projet de loi. En l'absence d'adoption d'une motion de censure dans les 24 heures, le texte est réputé adopté, sans vote...
L'article 49-3 a été rédigé en 1958 pour permettre à un Gouvernement confronté à une majorité instable ou frondeuse, de lui imposer un texte, sauf pour une partie de cette dernière, à rejoindre l'opposition pour faire tomber ledit gouvernement. Dans ce cas de figure, le Président de la République peut alors dissoudre l'Assemblée nationale et provoquer des élections législatives anticipées.
Ce rappel de la finalité du texte souligne le caractère ubuesque de l'utilisation annoncée du 49-3 par le Premier ministre dans le cadre de la réforme des retraites.
Le Gouvernement dispose en effet d'une majorité absolue avec le seul groupe parlementaire LREM. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que pour l'heure, les député·es de cette majorité ne se sont pas caractérisés par leur indépendance d'esprit, leur excès de critiques où plus simplement leur liberté…
Il n'y a donc aucun risque pour que le texte voulu par le Gouvernement ne soit pas adopté in fine par le Parlement…
Le recours au 49-3 poursuit donc ici un autre but.
On passera sur le caractère antidémocratique du principe même du 49-3 qui méconnaît la fonction première du législateur qui est de faire la loi, et de tenter de l'améliorer grâce aux débats. C'est l'idée même de délibération collective qui est ainsi sacrifiée.
Il n'est, de toutes les manières, pas possible d'amender utilement le projet de réforme des retraites : ce texte est mauvais, dans sa philosophie ultra-individualiste, dans ses modalités, car il conduira à appauvrir l'ensemble des retraité·es, et dans sa rédaction, car il est l'oeuvre bâclée et inaboutie de pieds-nickelés…
On passera sur le cynisme du Premier ministre qui annonce convoquer un conseil des ministres extraordinaire dans le cadre de la lutte contre le coronavirus, ce qui n'est juridiquement pas nécessaire, pour permettre en réalité de recourir au 49-3…
La santé des françaises et des français peut attendre ! Mais il est urgent de mettre fin à ce débat qui souligne tous les jours, les buts inavoués de cette majorité :
Casser les solidarités en paupérisant le plus grand nombre et offrir l'argent des retraites aux marchés financiers ; argent qui leur fait aujourd'hui défaut, la capitalisation ne se développant que marginalement au regard du haut niveau de protection offert par le système actuel de retraites par répartition.
Le premier ministre a souhaité mettre un terme à un débat qu'il ne maîtrisait pas. Débat qui continue à entretenir la flamme de la contestation et qui menace d'agir comme un catalyseur de l'échec annoncé de la majorité présidentielle aux élections municipales…
Plus encore, face à la détermination intacte de toutes les oppositions à ce projet et de la très grande majorité des français·es, le Président de la République a compris que son entêtement à maintenir ce texte risquait tout simplement de l'éliminer des prochaines échéances électorales.
Il est donc urgent pour lui de mettre fin à ce débat pour passer à autre chose. Et d'ici 2022 , pense-t-il, les françaises et les français auront oublié…
L'utilisation du 49-3 souligne l'ambition de cette majorité et de ce Gouvernement qui n'a jamais été de dialoguer avec les organisations syndicales et avec l'opposition mais de passer en force en écartant, y compris violemment, toute forme de contestation...
Anti-démocratique sur le fond, cette réforme le sera aussi sur la forme !
L'utilisation du 49-3 révèle la nature profonde, autoritaire, de ce Gouvernement…
Il commet toutefois une grave erreur d'analyse en pensant que l'adoption de la loi éteindra la contestation sociale dans ce pays.
Les organisations syndicales vont en effet poursuivre leur travail de pédagogie et continuer à démontrer le caractère inique de cette réforme.
Elles vont continuer à avancer des propositions alternatives, pour améliorer le dispositif existant tout en garantissant son financement.
Et demain, elles porteront ces propositions afin de les mettre en débat et faire du système des retraites, de la sécurité sociale et des services publics des enjeux essentiels des prochaines échéances électorales nationales...
Le combat continuera donc...