Le rapport Ravignon s’inscrit dans la lignée du rapport CAP 2022 et de toutes les préconisations néolibérales visant à remettre en cause la spécificité de la gestion publique et des contrôles de la régularité de l’utilisation de l’argent public.
L’introduction révèle d’emblée l’ambition du rapport : L’enjeu de la mission [...] était ici de passer de l’intuition au chiffrage. De manière claire, la suppression de la séparation ordonnateur-comptable est le présupposé du rapport. L’argumentation est ensuite construite pour parvenir à cette conclusion, au besoin en travestissant la réalité.
Il repose sur une idée simpliste : la disparition des contrôles génère une économie : celle de leurs coûts. Il occulte délibérément les gains qui résultent des erreurs et des malversations évitées grâce à l’existence de ces contrôles.

Il méconnaît par ailleurs la finalité du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables : s’assurer de la régularité du maniement des fonds publics, qu’il s’agisse du contrôle de la dépense publique ou de la légalité du recouvrement, en particulier lorsqu’il est forcé.
Le contrôle de la dépense publique est fondamental pour plusieurs raisons :
L’ordonnateur et le comptable ne sont pas les propriétaires des fonds publics mais de simples dépositaires de ceux-ci. Les contrôles mutuels et réciproques de la régularité de l’utilisation de l’argent public de l’ordonnateur et du comptable sont une garantie pour les citoyens du respect des lois et des règlements. Ils concrétisent l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen selon lequel La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration.
L’importance du principe de séparation que nous défendons a d’ailleurs été rappelée, en 2019, par Didier Migaud, alors Président de la Cour des comptes :
La séparation entre ordonnateurs et comptables doit demeurer le principe cardinal de notre ordre public financier.[…] Ce principe ancien, que l’on retrouve en dehors de la sphère publique, est un système à la fois protecteur pour le comptable, à qui il évite de subir toute forme de pression, et pour l’ordonnateur, qui demeure assuré de la régularité des décisions qu’il prend, tout en lui évitant parfois la tentation coupable de s’immiscer dans le maniement de la caisse publique.[...] Aujourd’hui, au prétexte que le système actuel serait trop lourd ou trop contraignant, qu’il entraverait l’action publique et l’initiative [...], l’on voudrait lui ôter ce qui fait sa colonne vertébrale. Ce serait là prendre un bien grand risque et faire le pari audacieux d’un respect sans faille de la loi et de règles, tant par les ordonnateurs que par les comptables publics.
La séparation ne doit pas se limiter aux seules fonctions d’ordonnateur et de comptable au sein d’une même entité, fût-ce une agence comptable, mais demeurer organique pour préserver l’indépendance du comptable à l’égard de toute pression hiérarchique de l’ordonnateur, lorsque celui-ci est son supérieur. C’est la raison pour laquelle la proposition de la création d’agence comptable est particulièrement inopportune et a fortiori celle d’une gestion exclusive par la collectivité.
La proposition d’instauration d’un contrôle interne dans les collectivités locales est illusoire. Dans son rapport sur l’expérimentation de la certification des comptes des collectivités locales, la Cour des comptes a conclu à l’impossibilité d’une généralisation de la certification ; ceci faute pour la très grande majorité des collectivités de disposer des moyens pour mettre en œuvre un tel contrôle interne.
La généralisation des contrôles a posteriori est une vue de l’esprit.
D’abord parce qu’ils sont les premiers à disparaître quand, faute de temps, d’autres priorités s’imposent.
Ensuite, parce que certains contrôles, pour être efficaces, ne peuvent être réalisés qu’a priori. Il en va notamment ainsi du caractère libératoire du paiement : comment s’assurer du retour des fonds quand ils ont été versés à un mauvais destinataire ?
Enfin, parce que les gains de temps escomptés sont loin d’être évidents, en substituant un contrôle a posteriori au contrôle a priori, lorsque l’ordonnateur transmet les justificatifs nécessaires.
Certaines mesures d’allègement des contrôles sont déjà mises en œuvre depuis longtemps. Il en va notamment ainsi de la sélectivité des contrôles sur les dépenses à enjeu, en fonction des montants et de la nature des dépenses.
Poussé à son paroxysme, l’allègement du millefeuille administratif et la diminution drastique de ses coûts, pourraient passer par la remise en cause de la décentralisation et la suppression de la libre administration des collectivités locales. Mais c’est tout simplement le prix de la démocratie locale…
Une première économie aurait certainement consisté à s’abstenir de réaliser un énième rapport inutile...