La semaine en 4 jours…

ce n’est pas la semaine de 4 jours,

et ce n’est pas un cadeau !

 

Lors de son discours de politique générale, le 30 janvier dernier, le Premier Ministre a indiqué vouloir expérimenter la semaine en 4 jours dans la fonction publique afin, selon lui, de la rendre plus attractive

Et hop, sans avoir consulté les organisations syndicales, l’expérimentation est lancée dans toute la fonction publique d’État pour une mise en place dès le 1er septembre ! Et La DRFIP Paris est priée de faire remonter une liste de services « volontaires » pour le 22 avril.

Pourquoi cette rare précipitation à vouloir mettre en œuvre une mesure présentée comme destinée à améliorer nos conditions de travail par un gouvernement qui n’a eu de cesse de les dégrader ?

C’est qu’en réalité cette semaine en 4 jours n’est pas ce qu’elle prétend être. Elle n’a pas vocation à être un vecteur de progrès social mais au contraire un instrument régressif de la politique de rigueur budgétaire. La seule logique qui préside à la rapidité de son déploiement, reste celle des « économies » que le gouvernement espère retirer de sa mise en œuvre notamment via une réduction des dépenses bâtimentaires (la politique immobilière de l’État étant devenue un des nouveaux leviers de la politique de réduction des dépenses publiques).

 

La semaine en 4 jours, qu’est-ce que c’est ?

 

Le concept (4 jours de travail et 3 jours de repos) peut certes paraître séduisant. Mais attention, il ne s’agit ni d’un cadeau ni d’un progrès social bien au contraire (même si certain·es peuvent individuellement y trouver un intérêt). Il est donc important de clarifier certains points afin de lever toute forme d’ambiguïtés.

En premier lieu il s’agit de bien différencier « semaine de 4 jours » et « semaine en 4 jours » car si la première expression est très souvent utilisée et relayée, c’est bien de la seconde dont il est en réalité question pour la fonction publique :

  • La semaine de 4 jours consiste à diminuer le nombre d’heures hebdomadaires pour conserver la même durée quotidienne de travail ;

  • La semaine en 4 jours revient en revanche à conserver le même nombre d’heures hebdomadaires en augmentant le volume horaire effectué quotidiennement. On condense le temps de travail sur moins de journées au lieu de le réduire.

La semaine en 4 jours, c’est donc travailler la même durée qu’aujourd’hui (1 607 heures par an pour un temps plein), soit de 35h00 à 38h30 en fonction des modules horaires choisis, mais sur 4 jours au lieu de 5.

Autrement dit, cela revient à travailler près de 2 heures de plus chaque jour :

Module horaire hebdomadaire

Durée quotidienne de travail

Congés

Semaine

en 5 jours

Semaine

en 4 jours

différence

Jours ARTT

Congés annuels

Journée solidarité

Total

35h00

(agents Berkani et non titulaires)

07h00

08h45

+ 1h45

par jour

0

25

 

25

36h12

07h14

09h03

+ 1h49

par jour

0

32

-1

31

37h30

07h30

09h22

+ 1h52

par jour

8

32

-1

39

38h00

07h36

09h30

+ 1h54

par jour

11

32

-1

42

38h30

07h42

09h37

+ 1h55

par jour

13

32

-1

44

 

Concrètement, ce sont des journées à rallonge qui attendent ceux et celles qui opteraient pour la semaine en 4 jours, et on comprend très vite que cela exclut d’office les personnes qui ont des contraintes familiales et celles qui ont des temps de trajet longs :

 

Module horaire

hebdomadaire

Heure de départ (semaine en 4 jours)

(prenant en compte la pause méridienne minimum de 45 minutes)

pour une arrivée à

7h30

pour une arrivée à

8h00

pour une arrivée à

8h30

35h00

17h00

17h30

18h00

36h12

17h18

17h48

18h18

37h30

17h37

18h07

18h37

38h00

17h45

18h15

18h45

38h30

17h52

18h22

18h52

 

Les dispositions en matière de temps de travail suivantes sont intangibles (prévention santé au travail) et restent applicables : 45 minutes de pause méridienne minimum, 10 heures de travail effectif maximum par jour, 11h30 d’amplitude journalière maximum (arrivée 7h30 – départ 19h00).

La note DGFIP évoque également la possibilité d’expérimenter la semaine de 4,5 jours ou l’alternance de semaines en 4 et en 5 jours, sans réduction du temps de travail, vous l’aurez bien compris.

 

Dégradations des conditions de travail et des droits sociaux en perspective

 

Alors certes, la semaine en 4 jours n’est pas un cadeau, mais quel risque y aurait-il à tenter l’expérience si elle est basée sur le volontariat et serait réversible ?

Organisation des services : cette expérimentation doit se mettre en place sans créations de postes (et même plutôt avec des suppressions), elle annonce donc un casse-tête sans nom pour l’organisation des plannings, en particulier dans les services en lien avec le public. La prise de congés sera d’autant plus complexe. Il est donc illusoire de croire que le volontariat sera la règle en particulier pour le choix du jour de repos (mercredi, vendredi). Et quid des collectifs de travail, de la formation des nouveaux collègues et de la transmission des savoirs ?

Conquis en matière de temps de travail : l’allongement des journées de travail va remettre en cause les horaires variables, les marges de manœuvre étant de plus en plus limitées. La DGFIP envisage d’ailleurs d’en profiter pour étendre les plages d’accueil (téléphonique) du public, impactant ainsi l’ensemble des agents et agentes des services de gestion. Du coup la question se pose : cette organisation sera-t-elle réellement réversible ?

Quant aux collègues qui sont au forfait, Stanislas Guérini évoque la possibilité de revenir sur les RTT.

Télétravail : pour celles et ceux qui opteraient pour la semaine en 4 jours, il est prévu de réduire le télétravail à 2 voire 1 jour par semaine. Comment cette limitation pourrait-elle ne pas être étendue à l’ensemble des personnels ? Il existe par ailleurs un risque important de voir peser un contrôle accru sur les télétravailleurs.

Pressions : l’exigence est posée d’un maintien des résultats ce qui engendrera une pression statistique accrue qui pèsera sur toutes et tous, et notamment sur les collègues au forfait qui feront l’objet d’une « attention particulière ». Toute défaillance relèvera automatiquement de la responsabilité individuelle de l’agent ou de l’agente qui sera accusé de ne pas savoir gérer son temps. Sans compter la fatigue générée par ces longues journées de travail.

L’amélioration des conditions de travail et des droits sociaux est donc loin d’être au rendez-vous !

 

Des expérimentations non concluantes

 

Ce concept est déjà expérimenté depuis mars 2023 à l’URSSAF Picardie sur la base du volontariat. Si les trois quarts des 200 salariés éligibles trouvaient l’idée intéressante, dans les faits, seuls 3 l’ont accepté, uniquement des personnes sans enfant à charge. Chez les 197 autres, le nouveau format a été jugé incompatible avec la vie de famille et notamment les horaires de crèche et d’école.

En Belgique, la semaine en 4 jours ouverte à toutes et tous depuis fin 2022 n’a convaincu que 0,5 % des salarié.es, 99,5 % ne voyant pas comment faire en 4 jours ce qu’il est déjà difficile de faire en 5.

Dans les faits, les seules expériences qui fonctionnent (en Grande-Bretagne, Irlande, Allemagne, Espagne…) sont celles qui s’accompagnent d’une réduction du temps de travail et de la création d’emplois.

 

Pour Solidaires, le progrès social, c’est bien autre chose

que la semaine en 4 jours.

Le progrès, c’est la semaine de 32 heures avec maintien du salaire et créations d’emplois. C’est partager le travail.

Travailler moins pour travailler toutes et tous.